Il yʼa un peu plus dʼun mois, jʼai lu un mail qui avait été envoyé au groupe américain/ français duquel je fais parti. Le mail mʼa dit quʼune série télévisée de cuisine cherchait une américaine avec des enfants qui allait fêter lʼHalloween. Mes enfants m’embêtaient déjà, en voulant faire parti dʼune série télévisée où un enfant est mis dans une labyrinthe et lʼautre doit le guider en lui donnant des instructions à voix haute. Donc, je me suis dit, puisque mes enfants meurent dʼenvie dʼapparaître à la télé, je verrais si nous pouvons participer à cette émission. Je leur ai répondu en disant que nous célébrons Halloween avec une grande fête, puisque lʼanniversaire de mon fils est le jour dʼavant. Et puis jʼai tout oublié.
Quelques semaines plus tard un agent de casting mʼa appelé a propos de lʼémission. Je lui ai parlé pendant quelques minutes, et il mʼa dit que lʼidée cʼétait de filmer une fête dʼHalloween chez moi, pour laquelle les chefs cuisineraient et mes enfants inviteraient leurs amis, tous déguisés. Donc, moi je pensais que je serais là dans le fond de scène, en train de regarder les chefs et manger de la très bonne nourriture.
Et puis jʼai regardé un épisode. Et je fus quasiment morte sur place.
La série sʼappelle Norbert et Jean: Le Défi. Il met en scène une personne normale (c.-à-d. moi) qui lance un défi à deux chefs qui ont gagné Top Chef. Ils filment tout un épisode pendant laquelle les chefs trouvent des idées brillantes et me montrent comment les cuisiner. À la fin de lʼépisode les amis/la famille de la personne normale viennent pour gouter la nourriture et deviner ce que fut le défi. Ce que jʼai alors compris cʼétait 1. je devais être la star du show, pas juste quelquʼun dans le fond de scène, 2. je devais faire quelque chose dont je ne suis pas très adepte (cuisiner) et 3. je devais le faire dans une autre langue (le français).
Mais, jʼétais déjà allé trop loin pour faire marche arrière: jʼavais dit a mes enfants quʼils allaient être sur la télé. Aussi, jʼai une règle personnelle qui dit que si je me trouve confronté à une situation qui me fais peur (…sans être dangereuse), je dois toujours la tenter. Sinon cʼest une expérience perdue. La vie est courte. Je devais lʼoser.
Jʼai signé les papiers quʼils mʼont envoyé; je leur ai envoyé des photos de mon appartement (qui était trop petit, donc au final ils ont loué un endroit plus grand); et jʼai fait lʼenregistrement du casting, pour laquelle jʼai mémorisé une page entière en français afin de la régurgiter devant l’appareil photo de mon iphone en mʼasseyant sur mon canapé. Dans lʼenregistrement je devais donner aux chefs leur défi: faire un repas entier en citrouille – un repas qui plairait à mes enfants (qui détestent les légumes) et leurs amis. Souvenez-vous…ce nʼest pas moi qui a créé le défi. Si ça avait été moi, je nʼaurais jamais inclus de la citrouille sur le menu. Cʼétait destiné à lʼéchec.
Pour lʼépisode il fallait pouvoir faire rentrer au moins cinq personnes dans la cuisine. Ma cuisine pourrait sûrement tenir cinq personnes…si tout le monde était serré les uns aux autres sans bouger dʼun poil.
Sautons quelques semaines. Cʼest lundi matin (hier) et je me réveille après deux jours de rhume SANS VOIX. Je veux dire rien. Jʼenvois vite un texto à lʼagent de casting et à la productrice afin de leur demander ce que je dois faire. Ils me réécrivent en me disant que je suis obligé de venir, ils ne peuvent pas tout annuler a moins quʼil yʼait quelque chose de vraiment sérieux. Alors je fais des gargarismes avec de lʼeau chaude salée, je tente de chanter sous une douche chaude, et lorsque jʼarrive dans lʼappartement quʼils ont loué au nord de Paris, je suis capable de coasser quelques mots dans une voix grave, comme celle dʼun amphibien.
Dʼabord je rencontre Marie, la productrice qui se charge de ma partie de lʼémission. Je lui ai déjà parlé sur le téléphone, elle est super sympa et fait tout pour me rendre à lʼaise. Elle me passe au preneur de son, un homme français, magnifiquement sexy, qui sʼappelle Hugues (“Hugh” in English, comme il a dit) qui commence a mettre sa main à lʼintérieur de ma robe.
Je porte une petite robe en laine, des collants et des bottes biker à la hauteur de ma genou. Le seul endroit que Hughes peut attacher les piles est le haut de mes collants, puis il doit passer le fil en dessous de ma robe pour attacher le microphone au niveau de mon décolleté. À chaque fois que le microphone bouge un peu, Hughes doit venir le régler. Donc, en gros jʼai un homme beau en train de mettre sa main sous ma robe toute la journée. Étrangement, je ne me plains pas.
Ensuite, Marie m’emmène dehors ou je dois réciter ce que jʼavais enregistré sur mon iPhone, mais cette fois ci devant leur camera. Jʼai du mal à mʼen souvenir, et il yʼa beaucoup de coupes puisque je dis une paragraphe à la fois et je procède à oublier mon âge et ceux de mes enfants ( Je ne peut pas me souvenir de chiffres. Selon la scène quʼils utiliseront, je vais avoir 45 ou 46 ans, Max va avoir 7 ou 8 ans et Lucia va avoir 6 ou 7 ans.)
Après ça, Marie mʼemmène à lʼintérieur où un camera et des lumières sont assemblés, elle commence à mʼinterviewer sur mes attentes, comment je mʼimagine les chefs et si je pense quʼils sont capables de faire face au défi. (Je dois répéter ses questions, puisquʼon ne voit/entend pas celle qui fait lʼinterview et certaines parties sont imprononçables). Cʼest ici que je commence à transpirer. Je nʼai pas peur, cʼest juste que les lumières sont si chaudes quʼà la fin mes cheveux sont trempés. Une fois lʼinterview terminé, je vais aux toilettes pour me trouver un sèche-cheveux. Cʼest mon meilleur ami pour le reste de la journée.
Alors arrivent les chefs. Nous filmons le moment où je les laisse entrer à travers la porte dʼentrée du jardin. Je marmonne bonjour et ils me regardent bizarrement. Puis, ils trouvent une brouette et se portent tour a tour à travers le jardin jusquʼà la porte. Je ne sais pas quoi faire, donc je prétend que tout est normal et les laisse entrer.
Nous passons au cuisine. Les lumières sont deux fois plus chaudes quʼavant et je commence immédiatement à fondre. Mon visage ruisselle de sueur et quand je me regarde dans le miroir, ma peau est dʼune couleur entre le rouge et le rose- un peu comme la carapace dʼun homard cuit. Je suis les chefs à travers la cuisine, sans savoir ce que je suis censé faire, alors quʼils commencent à faire tout et nʼimporte quoi: sʼenflammer tour à tour leurs tabliers, arroser la cuisine avec de la crème chantilly…
Moi, quand je me trouve face aux cinglés, je recule afin de regarder le spectacle à distance. Nous y étions à peu près une demi-heure, quand Marie descend les escaliers et me dit, “Amy, tu dois intervenir plus avec Norbert et Jean. Pose-les des questions. Dites le si tu penses que la nourriture va plaire à tes enfants. Dites quelque chose!”
Donc je mʼélance en me mettant entre les deux, ce qui est bien dangereux. Je reçois au visage plein dʼherbes (quʼils utilisent afin de sécher ma transpiration) et un “baiser français” de Norbert ( il mord un oignon, puis il essaye de me faire la bise) et je suis obligé de danser autour dʼune grosse citrouille au milieu de la chambre.
Jʼessaie de participer. Vraiment, jʼessaie. Les chefs sont si sympas et à chaque foi que nous arrêtons de filmer, Norbert me pose des questions sur mes enfants, et me raconte des histoires des siens. Il s’intéresse à mes livres, me parle de ses livres de cuisine et mʼintroduit aux autres comme “Vous connaissez la dame qui a écrit Harry Potter? Eh bien, Amy elle est un écrivain encore plus connu quʼelle!”
Jean me prend de côté au moitié de la journée et me dit que je suis la fille la plus élégante quʼils nʼont jamais eu sur la série. Je me demande si cʼest parce que jʼai lʼaire tellement choqué chaque fois quʼils racontent une blague grivoise. Ou bien parce que je nʼarrive pas à me détendre. Parce que JE NʼARRIVE VRAIMENT PAS À ME DÉTENDRE. Une fois Norbert même arrête les cameras et me dit “Amy tu dois te détendre. Nous sommes entre amis, juste en train de sʼamuser.”
Et cʼétait amusant. Mais cʼétait comme regarder un cirque. Cʼest amusant de regarder des cirques. Mais moi je nʼai pas envie dʼentrer en piste et commencer à jongler. Ils avaient besoin dʼune autre clown. Pas dʼun écrivain américain tendu, qui transpirait à flots et qui avait la voix dʼune grenouille laryngitique.
Norbert, moi (couleur homard) et Jean pendant une des pauses.
Nous avons filmé toute la journée et pendant une des pauses, quelquʼun est parti me chercher des losanges spéciaux quʼils espéraient ramènerait ma voix. Ils ont marché un peu, donc jʼai pu continuer à parler dʼune voix rauque jusquʼà la dernière partie quʼil restait à filmer: le dégustation.
Lulu en train dʼêtre filmé dans son costume dʼange.
Les enfants arrivent avec leur babysitteur ainsi que mes amies Anne Nesbet, aussi écrivain, et Corinne avec ses enfants Bruno et Loup. Les enfants sont déjà habillés et sont filmés en train dʼentrer dans le jardin. À ce moment, Jean sort la tête dʼune fenêtre et arrose Max avec de la crème chantilly. Max panique et ils doivent lui trouver un autre costume.
Max dans le déguisement de diable quʼils lui ont donné après son costume de pirate fut couvert de crème chantilly.
Maintenant, mes cheveux tombent en mèches trempés autour de mon visage. Jʼai si chaud que lʼon pourrait cuire un oeuf sur mon visage. Jʼemmène tous mes invités à une table décorée dans lʼesprit dʼHalloween et je leur apporte le premier plat. Je ne suis pas sûr si jʼai le droit de vous dire quels plats ils ont cuisiné avant que lʼémission nʼapparaisse, donc je dis juste que cʼétait quelque chose de très joli, que tout le monde admirait et que Max voulait le gouter en premier.
Il se penche, sirote un peu, et se redresse tout de suite, lʼair horrifié. Puis il fait quelque chose qui ferait grimacer toute mère: il la recrache sur son assiette. Mais ce nʼest pas tout. Après, il commence à avoir mal au coeur. Je prends sa main et le traine jusquʼà lʼautre côté de la chambre pour quʼil ne vomisse pas devant les cameras. Quelquʼun lʼemmène à
lʼétage et je rejoins la table, l’oeil un peu hagard, en priant que Lucia nʼaura pas la même réaction que Max. Heureusement, elle demeure polie et dit “cʼest un petit peu bon”.
Je ne vous donne pas tout les détails, mais le reste de la dégustation est à peu près pareille. Les garçons refusent de manger quoi que ce soit dʼautre. Les filles sont polies et les adultes adorent tout et disent tout ce quʼil faut. Cʼest après 22 heures alors quʼils finissent de filmer la scène et que je renvoie les enfants dans un taxi avec leur baby-sitter afin que je puisse terminer.
Pendant la dernière interview ma voix se casse et meurt en croassant. Les chefs et Marie me disent au revoir et je prends un taxi pour rentrer. Je suis arrivée ce matin à 8 heures et je rentre à 23 heures 30. Cette journée a été longue. Une journée folle. Une journée de démence et dʼévénements surréels. Jʼenvoie des textos à quelques amis pour leur dire à quel point je suis horrifié et ils me consolent. Tard la nuit, je suis enfin capable dʼoublier la journée et je mʼendors.
Le jour dʼaprès Marie mʼappelle. Elle me dit “Oh mon Dieu, ta voix est encore pire”. Elle me demande si jʼai été traumatisé et je lui avoue que oui, jʼétais quelque peu traumatisé. Je lui dis que peut-être la robe en laine et les collants étaient une mauvaise idée et elle est dʼaccord.
“Donc si vous ne pouvez pas mʼentendre dans la vidéo, et comme les enfants nʼont pas aimé la nourriture, est-ce-que vous pensez que ils pourraient ne pas diffuser cette épisode?”, je demande avec espoir. “Non cʼest sûr quʼils vont la diffuser”, elle me réponds “je te préviens quand elle passe”.
Je raccroche en réfléchissant. Ce fut une expérience bien intéressante. Je me suis amusé avec tout le monde, quand nous nʼétions pas en train dʼêtre filmé. Mes enfants ont réalisé leur rêve dʼêtre à la télé. Jʼai eu une super photo des chefs en train de tenir mes livres. Et jʼai même appris comment cuisiner certaines choses. Mais surtout, je suis devenue très reconnaissante pour le travail que jʼai: écrire des livres pendant que je suis confortablement installé dans mon petit appartement ou dans la bibliothèque du coin.
Jʼaurais peut-être des regards étranges dans le métro si quelquʼun me reconnait comme lʼaméricaine suintante, enroué, qui ne savait pas comment faire de la crème chantilly. Mais je saurais toujours que jʼai fait quelque chose de plus effrayant que la plupart dʼentre eux. Et je lʼai survécu.
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